Le retour à la vie de vers congelés

En 2018, l'académie russe Doklady Biological Sciences annonçait le réveil de plusieurs nématodes congelés pendant 42 000 ans. Ils attendaient sagement dans le pergélisol du pléistocène situé dans les basses terres d’une région sibérienne où s’écoule La Kolyma.

Le pergélisol ou permafrost est un sol dont la température ne remonte jamais au-dessus de 0 °C. Il recouvre 20% de la surface terrestre du globe dans l’hémisphère nord, de l’Alaska à la Sibérie. Le dégel du permafrost libère une grande quantité de gaz carbonique, de méthane, et toutes sortes d'organismes pas vraiment désirables.

Une équipe des biologistes russes, accompagnée de Tatiana A Vishnivetskaya, biologiste américaine de l’Université du Tennessee à Knoxville, perce profondément le pergélisol sibérien pour cartographier le réseau d'organismes unicellulaires qui ont vécu il y a des siècles dans la région.

Carottage du pergélisol en SibérieDepuis l’observation du dégel et de l'érosion du permafrost le long de la côte sibérienne, des équipes de chercheurs réalisent périodiquement des expéditions de cette nature. A l’aide de sonde de forage, les opérateurs percent le sol et collectent des carottages du sous-sol profond. Les scientifiques conservent les échantillons de permafrost congelé jusqu'à l'analyse microbiologique qui sera réalisée ultérieurement.

Au laboratoire, comme d'habitude les biologistes recherchaient des organismes unicellulaires dans les échantillons prélevés, les seules formes de vie considérées comme viables après des millénaires enfermés dans le pergélisol. Mais ils ont rapidement remarqué quelque chose d'étrange. Parmi les bactéries et les amibes, il y avait de longs vers segmentés avec une tête à une extrémité et un anus à l'autre - des nématodes.

Echantillon pergélisol - SibérieCes vers ont été réchauffés progressivement à température ambiante pendant plusieurs semaines dans une boîte de Petri. Ils étaient nourris avec des bactéries Escherichia coli et de l'agar-agar, une algue rouge. A l’issue de la période de réveil, deux nématodes montraient encore des signes de vie. Cette découverte accidentelle a bousculé la compréhension des scientifiques.

Les nématodes côtoyaient les Homo sapiens et les derniers Néandertaliens à la fin du pléistocène !
L'analyse des gènes de l'ARN ribosomique a permis de déterminer approximativement que les nématodes découverts à 30 mètres de profondeur dans une couche datée de 30 000 ans appartenaient à l’espèce Panagrolaimus détritophages de l’ordre Rhabditida, et ceux déterrés à 3,5 mètres dans une couche datée de 42 000 ans à l’espèce Plectus parvus de l’ordre Plectida (photo de l’article)
La durée de la cryoconservation naturelle des nématodes correspond à la datation des dépôts qui les environnent, de 30 000 à 40 000 ans. Les échantillons gelés contenaient des centaines de nématodes, mais que des femelles. Ce constat s'explique partiellement, les nématodes sont capables de se reproduire par parthénogenèse, sans participation de mâles.

Les nématodes résistent au froid.
Survivre au gel est très difficile. Les cristaux de glace peuvent déchiqueter les membranes cellulaires et les structures biologiques vitales. Les experts ont suggéré que les nématodes sont bien équipés pour supporter des millénaires enfermés dans le pergélisol. Ces vers ronds constituent un embranchement de vers non segmentés, classés parmi les ecdysozoaires, dont le développement s'effectue par la mue de leur cuticule, la peau épaisse qui recouvre leur corps. Il développe peut-être un revêtement externe qui les protège des conditions extrêmes du sol gelé.

Nématode Panagrolaimus - pergélisol SibérieMicrobe, bactéries, virus
Mais derrière cette découverte se dissimule peut-être une nouvelle bien plus inquiétante. Si les nématodes réussissent à survivre si longtemps, les chercheurs russes s'inquiètent des microbes qui pourraient, eux aussi, être prisonniers de la glace. Le réchauffement climatique pourrait réveiller des bactéries et des virus avec des conséquences inconnues pour les organismes vivants. Lors de l’expédition de 2018, bien qu'une contamination ne puisse être totalement écartée, les biologistes assurent avoir respecté une procédure de stérilisation très stricte des échantillons déplacés en laboratoire.

L’hypothèse que les nématodes se soient introduits récemment dans le sol est exclue.
Le nématode n’est pas réputé pour creuser aussi profond, et à fortiori dans le permafrost qui ne dégèle pas sur plus de 80 cm de profondeur. Ces 40 000 dernières années, les sols sibériens n'ont pas dégelé sur plus de 150 cm.

Source : découverte publiée en juillet 2018, texte original dans la revue de l'académie russe des sciences Doklady Akademii Nauk.
Chercheurs : AV Shatilovich, AV Tchesunov, TV Neretina, IP Grabarnik, SV Gubin, TA Vishnivetskaya, TC Onstott, EM Rivkina